Gaëlle Garcia Diaz et le "féminisme extrémiste"


Pourquoi le « féminisme extrémiste », ça n’a pas de sens.

La semaine dernière, ou il y a deux semaines, la Youtubeuse belge Gaëlle Garcia Diaz a tweeté au sujet du rappeur Damso. En effet, ce dernier n’a pas été sélectionné pour écrire l’hymne belge du mondial de football et ce car nombre de féministes lui reprochaient ses textes un chouilla sexistes. Le tweet ne semble plus être disponible sur le Twitter de Gaëlle Garcia Diaz, mais je l’ai retrouvé mot pout mot dans un article (vous excuserez les fautes de frappe, je pense que certains caractères ne passaient pas sur la plateforme dont il est issu) :

"Franchement @THEDAMSO qu'ils aillent tous se faire enculer. Ça leur ferait peut-être du bien à ces nanas qui n'ont plus touché une bite depuis 2001."


Suite aux réactions engendrées par le tweet, Gaëlle G. Diaz a fait une story Snapchat* « coup de gueule » (selon ses mots) pour expliquer son point de vue sur ce qu’elle appelle le féminisme extrémiste. Je vous invite à regarder cette vidéo qui rassemble sa story.
La suite de cet article consistera donc à déconstruire son argumentation, point par point.
1.     « Clairement le féminisme d’il y a plus de 60 ans […] y avait un réel but parce qu’il y avait des choses qui étaient inacceptables et qui à l’heure d’aujourd’hui sont tout à fait normales […] Mais, mesdames mes chères féministes dans des pays comme la France ou la Belgique, on s’énerve un petit peu pour pas grand chose. » (Gaëlle Garcia Diaz)
Bon bon bon… Partir du principe que l’égalité femmes/hommes est atteinte et que le féminisme n’est plus utile aujourd’hui, c’est oublier le harcèlement sexuel, le slut-shaming*, les discriminations à l’embauche, les violences gynécologiques et ces quelques chiffres (en France) :
225 femmes sont victimes de violences conjugales en un an. Une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint.
83 000 femmes sont victimes de viols ou tentatives de viols en un an. Et seulement 11% portent plainte.
- Les femmes sont payées 15% à 18% de moins que les hommes (à postes égaux). 
- 100% des utilisatrices de transports en communs interrogées par le Haut Conseil à l'Égalité ont subi du harcèlement sexiste au moins une fois dans leur vie.
Donc non, l’égalité hommes/femmes n’est pas atteinte dans les faits, que ce soit en France, en Belgique ou ailleurs. Et comme je le disais dans mon post précédent, c’est AUSSI dans les détails que réside la domination masculine.
Par exemple, beaucoup pensent que se battre contre le manspreading* c’est un combat de bourgeoise qui s'ennuie, c’est un détail, c’est misandre, et tout le tralala. Or, ce que l'on ne nous explique pas dans les campagnes de sensibilisation moyennement réussies, c’est que le combat contre le manspreading ce n’est pas juste demander aux hommes de refermer les jambes dans le bus. C’est se battre pour que les femmes réinvestissent l’espace public, pour que les hommes cessent de les exclurent volontairement ou non de la rue, des transports en commun, des bars… Sortez une nuit dehors, en ville, comptez le nombre de femmes seules et le nombre d’hommes seuls. La ville, surtout la nuit, appartient aux hommes. Donc non, il n’y a pas de petit combat, pas de petite victoire. Chaque avancée, si infime puisse-t-elle vous paraître, est un pas en avant vers l’égalité femmes/hommes.
2.     Quand Gaëlle Garcia Diaz explique que le droit de vote, de travail et de conduite sont aujourd’hui acquis, elle précise « je parle bien évidemment de l’Europe, car dans certains pays un petit peu à droite du globe planétaire, ce n’est pas encore le cas pour tout. »
Vous me direz, elle a raison, on n’est pas les moins bien lotis au niveau du statut des femmes dans la société. Mais ce n’est pas « parce qu’il y a pire ailleurs » qu’on doit cesser de se battre ! Quand est-ce que se contenter de la médiocrité a aboutit à quelque chose de positif ? Quand est ce que le nivellement par le bas a-t-il permis l'avancée des droits sociaux ?  
De plus, parler des « pays à droite du globe » pour montrer à quel point ils ont l’air en retard sur l’égalité des genres est d’une condescendance assez incroyable. Ça fait quand même très « Nous les occidentaux on n’a plus besoin de se battre, l’égalité est acquise, par contre dans les pays du tiers monde, ils auraient bien besoin qu'on les aide. » Alors qu’il suffit de s’intéresser au sujet dix minutes pour voir qu’il y a des pays orientaux qui sont bien plus avancés que nous sur certains points de l’égalité femmes/hommes ! 
3.     « Quand un scénariste écrit une scène de viol, on ne va pas l’incendier. Alors que pourtant ça sort de sa tête hein, c’est lui qui a trouvé le concept, l’idée, qui l’a écrit. Mais quand un mec a envie de chanter "pute pute pute pute" ah bah non là, il le pense. » (Gaëlle Garcia Diaz)
Il y a aussi des questionnements qui existent autour des scènes de viol au cinéma ou dans les séries, la série Game Of Thrones, par exemple, a justement été sujette à débats. La plupart des scènes de viol présentes dans des productions culturelles, surtout actuelles, sont justement là pour dénoncer ces violences. Et quand ce n’est pas le cas, comme je l’ai dit plus haut, ces scènes sont tout autant sujettes à débat que les insultes sexistes des rappeurs.
Les féministes ayant réagis au tweet de Gaëlle G. D. ne remettaient absolument pas en question le fait que la rap soit un art, au même titre que le cinéma. Elles remettaient en question le fait que Damso, comme d’autres, véhiculent des représentations sexistes et violentes des femmes, et que ses textes ne sont pas une dénonciation de ces violences. Personnellement, je ne pense pas que Damso soit un macho persuadé que toutes les femmes sont des putes, je pense juste que ses textes banalisent les violences subies par des milliards de femmes. Le féminisme que je connais ne demande pas la censure, il demande aux médias et productions de ne plus donner de légitimité à ce genre de texte.
4.     « Les féministes veulent absolument être vues à la même échelle que les hommes. Voilà, les femmes doivent être égales aux hommes. » / « On n’a pas besoin d’un groupe de féministes pour nous faire comprendre qu’on est égales aux hommes. » (Gaëlle Garcia Diaz)
Déjà, on ne peut pas dire « les féministes veulent » tout simplement parce qu’il existe énormément de courants féministes qui ne revendiquent pas les mêmes choses (dans cet article, quand je parle des féministes, je parle de celles et ceux qui ont réagis aux tweets de Gaëlle G. Diaz, et quand je parle du féminisme, je parle du mien, celui que je connais et que j’étudie). Ensuite, généralement, le féminisme ne réclame pas que les femmes soient les égales des hommes, elles veulent que les hommes et les femmes soient égaux. La nuance peut paraître faible, mais elle est bien réelle. Le féminisme ne nie pas que les hommes doivent eux aussi répondre à des impératifs sociaux injustes : l’injonction à la virilité, l’interdiction de pleurer, de montrer ses sentiments, de s’intéresser à des disciplines dites féminines sont autant de critères à remplir pour être un « vrai homme ». Ces critères sont tout autant absurdes que ceux imposés aux femmes. Les femmes ne veulent pas non plus de ces impératifs sociaux, et c’est pourquoi mon féminisme est aussi un combat pour les hommes, comme il est un combat pour les personnes trans ou les personnes qui ne se définissent pas par cette binarité. Je veux que tous les êtres humains aient le droit de pleurer, de se maquiller, de faire du bricolage, d’être grossier, etc. Je ne veux pas être traitée comme un homme, je veux que tout le monde soit traité comme un être humain.
Les mouvements féministes ne sont pas là pour nous faire comprendre que les femmes sont égales aux hommes, ils sont là pour se battre, lutter pour l’égalité qui, je le répète, n’est pas atteinte. Nous ne sommes toujours pas, aujourd’hui, les égales des hommes. Et penser le contraire, c’est faire comme la justice : en effet, dans les lois, l’égalité femmes/hommes est atteinte. Dans les FAITS, ce n’est toujours pas le cas. Et ce sont les faits, la réalité qui nous intéressent, évidemment. La lutte féministe c’est aussi réussir à faire appliquer ces fameuses lois dans la vraie vie.
5.     « Il y a des choses hardcores qui se disent dans le monde des féministes. Parce que c’est pas tout rose tout rose hein. »  (Gaëlle Garcia Diaz)
Non, ça n’est pas tout rose tout rose. Parce que le viol non plus ça n’est pas tout rose tout rose. Parce que se faire toucher contre son gré, se faire insulter, se faire licencier parce qu’on est enceinte, se faire juger sur ses pratiques, se sentir en danger, tout ça parce qu’on est une femme, ça n’est pas tout rose tout rose non plus.
6.    « Les féministes extrémistes qui cassent les couilles […] pour de la merde, et on est tous d’accord. Elles n’ont plus vu une bite depuis au moins 15 ans, elles sont frustrées, ce sont des putain de mal baisées, et je retirerai jamais mes mots, je le pense vraiment. Qu’elles aillent toutes se faire foutre. » (Gaëlle Garcia Diaz) 
Avant tout, dans cette citation en particulier, Gaëlle G. D. précise qu’elle parle des féministes extrémistes, ce qui n’est pas précisé dans son premier tweet. D’autant plus que celles qu’elle appelle les extrémistes sont celles qui ont réagis à son tweet, et croyez, moi si féministes extrémistes il y a, leurs interventions ne portent pas sur les textes de Damso. Partir du principe qu’une féministe est une mal-baisée est un des plus gros clichés sexistes dénoncé par le mouvement. Une femme en colère n’est ni une femme en manque de sexe, ni une femme qui a ses règles. Il faut cesser définitivement de délégitimer la colère des femmes.
Autre point notable : Gaëlle G. Diaz a précisé que ces féministes étaient frustrées par ce qu’elles n’avaient pas vu de bites depuis longtemps… C’est EXTRÊMEMENT hétéronormé*. Déjà, supposer qu’une femme a besoin de relations sexuelles pour être épanouie et sereine, c’est une idée de merde, mais alors ramener ça en plus à l’organe sexuel masculin… On est en 2018, est-ce qu’on peut partir du principe que des femmes aiment des femmes, que des hommes aiment des hommes, et même que des être humains aiment des êtres humains qui n’ont pas besoin de se définir par le biais de cette binarité très occidentale ? Une bonne fois pour toutes : IL Y A DES FEMMES QUI AIMENT LES VULVES ! Et même ces femmes-là n’ont pas forcément besoin de rapports sexuels fréquents pour être épanouies. Le mieux, ce serait d’arrêter de ramener les gens à leur vie sexuelle et les juger là dessus parce – guess what – ça ne vous regarde pas.

Et pour finir (comment ça il était temps ?), le féminisme extrémiste est un concept très peu définissable. Qu’est ce qui est extrême, sur quelle échelle et pour qui c’est extrême ? Certains mouvements seront trop extrêmes pour certains et pas assez pour d’autres. Il n’existe pas de limite universelle entre le féminisme acceptable et le féminisme extrémiste. Et, rappelons nous quand même que même les féministes les plus extrêmes n’ont jamais tué un homme en raison de son sexe/genre. Peut-on, inversement, dire la même chose des hommes qui tuent des femmes ? Peut-on affirmer qu’aucune femme n’a jamais été tuée uniquement en raison de son sexe/genre ?

Alors. Qui fait preuve d’extrémisme ?
L’idée de cet article a émergée lors d’une discussion animée avec mon amie Elena Ponte. Cet article est le fruit de nos deux cerveaux révoltés. Merci à elle.

Quelques précisions : 

* Snapchat est un réseau social permettant d'envoyer des photos et vidéos à ses amis. Les stories sont des vidéos publiques (visibles par tout ceux qui suivent la personne en question sur Snapchat). 
* Le slut-shaming, c'est quand un individu ou un groupe d'individus émettent des jugements de valeurs sur le comportement (sexuel ou non) d'une femme.
* La manspreading, c'est la tendance (principalement masculine) à écarter les jambes dans les transports en commun, ne laissant à ses voisin.e.s que peu d'espace pour s'asseoir. 
* L'hétéronormativité est un système de normes pensé et imposé par une société hétérosexuelle qui ne prend pas en compte les autres sexualités existantes. 

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